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Chronique 9, dimanche 22 décembre 2019

Je prends le temps de mélanger mes couleurs avant de commencer à écrire comme un peintre le ferait avant de peindre.  Dans l’atelier de lectures et d’écritures, les couleurs sont des livres. Je les dispose, les place les uns par rapport aux autres, par leur proximité ils commencent à dialoguer entre eux, j’écoute. Quelques chroniques déjà que je voulais citer Cristina Campo à propos de la critique comme écholalie : « La critique est un écho, sans contredit. Mais n’est pas-il aussi la voix de la montagne, de la nature, à laquelle s’adresse la voix du poète ? Le critique ne se tient-il pas devant le poète comme le poète devant les appels de son propre cœur ? C’est pourquoi, au moment d’en parler, il doit l’avoir déjà entièrement subi : le restituer non comme un simple miroir, mais bien comme un écho : imprégné de tout le chemin parcouru, dans la nature, par l’une et l’autre voix. » Le chemin parcouru, c’est bien ce qui nous intéresse ici : Moins le livre pour lui-même que le chemin qui mène d’un livre à un autre sur le sentier initiatique de la vie. Il y en partout autour de moi des pages reliées mais elles ne feront pas toutes parties des couleurs d’aujourd’hui. Par exemple pour le livre qui sert de support à mon verre de vin que j’attrape et repose à intervalles réguliers, je ne délivrerai que le titre : Les âges de la vie qui restera fermé car je l’ai encore à peine parcouru. Comme le peintre qui avant d’entrer dans le vif du modèle dessine une forme fantôme, je trace des contours de ce que j’ai envie de vous partager ce jour puis, j’entre.

Aujourd’hui 22 décembre, nous sommes le jour du solstice d’hiver, la lumière revient peu à peu, dans notre hémisphère les jours vont se rallonger jusqu’au solstice d’été. Le 17 décembre, c’était l’anniversaire de la mort de Rûmi, grand poète Persan. Dans l’atelier de danse de tournoiement auquel je participe, nous avons fait ce vendredi une pratique plus cérémonieuse qu’habituellement pour honorer ces temps forts de l’année ainsi que la présence d’un musicien. J’ai eu connaissance que le nom que porte la danse soufie est le Samâ qui signifie écoute. Pendant l’échauffement en cercle, il nous était demandé d’écouter tout ce qui était à l’intérieur du cercle, puis tout ce qui était à l’extérieur et au-delà. Quelques jours avant, je lisais Les portes de la transfiguration de Jean-Yves Leloup enjoignant à aller plus loin que tous les sens mais en partant bien de ceux-ci : du visible à l’invisible, de l’écoute des bruits à la perception du silence et de l’inaudible, du toucher à l’impalpable… Avant même la question de la foi, je dirais que c’est notre capacité d’imagination qui est en jeu. Sommes-nous capables d’emmener notre esprit dans cet espace au-delà ? Ce que je découvre c’est que cette technique d’emmener son esprit dans un espace infini ouvre d’immenses possibilités pour le corps. Il va au-delà de ses limites avec l’imaginaire. A une covoitureuse qui aujourd’hui me demandait si j’avais un entrainement physique intense pour la danse, je lui ai répondu que j’avais un entrainement poétique très intense. Je pratique ce que Rilke à appellé l’Ouvert et je rattrape des cours et des cours de danse de l’imaginaire grâce à la littérature. Et ce qui m’importe avant tout, toutes disciplines confondues, c’est de travailler l’ouverture au silence. 

Et dans ce silence, peut-être, « naître d’en haut », tendre à une verticalisation. Tous ceux qui ont fait, ne serait-ce qu’un seul cours de danse, pourront se remémorer cet exercice consistant debout à imaginer ses racines se plonger jusqu’au centre de la terre et un fil partant du sommet du crâne jusqu’à un point très haut dans le ciel. Un simple d’effort d’imagination, n’est-ce pas ? En ce qui concerne encore la transfiguration, la métamorphose par la lumière, j’ai envie de vous parler de Divine blessure de Jacqueline Kelen. Le sous-titre est le suivant : Faut-il guérir de tout ? En ces temps d’obsession de la guérison, de l’épanouissement, du bien-être, des thérapies brèves etc. l’auteur nous parle de la voie mystique : faire corps avec la blessure inguérissable, la garder béante, ouverte (l’ouverture encore) et « passer de l’infini de la Douleur à l’infini de l’Amour. » 

Pour finir cette chronique et vous donner à penser à cette grande histoire qui nous attend après demain et qui est Noël, un passage du livre. Il se situe après la critique de s’en tenir à une réconciliation masculin-féminin qui peut certes apporter harmonie sur le plan psychique mais qui n’a rien à voir avec la naissance spirituelle. « Naître à l’Esprit, ou faire naître Dieu en soi (comme le disent Maître Eckart et Angelus Silesius, entre autres), dépasse et perce aussi le plafond psychique sous lequel s’abritent les mortels. C’est ce que Jésus appelle lors de son entretien avec Nicodème « naître d’en haut » (Jn 3,3). Il ne s’agit donc pas, dans une perspective de salut, de ressusciter en individu masculin, ou féminin, ou androgyne, mais de ressusciter de l’Esprit. »

Sacha Steurer 

Livres cités 

Cristina Campo, Les Impardonnables, Gallimard, coll. L’Arpenteur, 1992 
Christiane Singer, Les âges de la vie, Editions Albin Michel, 1983
Jean-Yves Leloup, Les portes de la transfiguration, Editions Albin Michel, 2018
Jacqueline Kelen, Divine blessure, Editions Albin Michel, 2005 

Cadeau



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