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Chronique 25, 27 mai 2022

Le vent souffle où il veut ; tu entends sa voix mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va. Ev. de Jean 

Je proposais une pratique antique : celle du livre-oracle. On se penche les yeux fermés sur la somme de livres posée au sol, on avance sa main comme un bâton de sourcier au-dessus des livres et on en saisit un. Ce qu’on saisira n’en finira pas de nous échapper, c’est pour cela qu’on est rassemblés ici ensemble. On se recueille autour de ce qui nous échappe. « La chasse aux papillons », nom du parfum que j’ai essayé récemment - dont je préfère la description à l’odeur- « Des brassées de fleurs blanches inondées de soleil, un jour d’été. » aurait pu être l’invitation lancée pour l’atelier : La chasse aux papillons-poèmes. 

27 mai 2022, 9 heures 30, troisième Printemps. Le livre qui me saisit yeux fermés, j’avais failli l’acheter deux jours plus tôt chez Fabrice Au plaisir du texte. Ce recueil de la collection blanche de Gallimard titré Poésies 1946-1967 n’avait pas emballé mon cœur pour sauter le pas de l’achat. Et pourtant, le revoilà dans mes mains, comme s’il insistait à s’ouvrir à moi. Le poème « Soleil d’hiver » s’avère être mon oracle. Y verrais-je l’espoir d’une réconciliation des contraires ? Chaud et froid réunis dans le silence de mon corps immobile ? 

Ces derniers jours il y avait beaucoup de vent, je m’amusais à imaginer qu’il était mon maître et que je prenais une leçon de douceur avec lui. Dans le Yi King, l’idéogramme du vent nous indique : « la pénétration du vent opère des effets progressifs et invisibles. On ne doit pas la réaliser par des moyens violents mais par une influence ininterrompue. » J’ai repensé alors à ce recueil de St John Perse, Vents, que je voulais apporter pour l’atelier comme recueil de circonstance météorologique. J’ai tout trouvé – Un chemin d’éveil, une Terre brûléeLa vie des abeilles… - sauf celui-là ! Mais c’est le vent en personne qui l’a apporté ce matin-là par le biais d’une participante. Une autre personne inspirée a apporté Sur le Jadis de Pascal Quignard. Depuis des mois déjà je lorgnais ce titre. Le passage qui a été lu évoquait l’intensité, la profondeur, cette autre dimension qui s’ouvre quand on approche une qualité de présence et dans laquelle nous étions justement en train de nous baigner ou de voler… A la page quarante-cinq on peut lire : « Les poissons sont de l’eau à l’état solide. Les oiseaux sont du vent à l’état solide. Les livres sont du silence à l’état solide. »

C’est vers lui que nous orientons toute notre attention avant de lire et puis pendant et après. Au bout d’un moment, on ne peut plus s’arrêter. On jouit du silence. Plus personne ne bouge. 

Sacha S. 

La librairie Au plaisir du texte tenue par Fabrice Sivignon se trouve au 1 rue Roger Violi, Lyon 1er




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