Accéder au contenu principal

Chronique 15 du 7 mars 2020

Yeux sortant au-dessus du livre, une seule main tape -une lettre après l’autre – la peau du visage en contact avec le papier, le nez dans le cœur des pages – main gauche tenant ; avec une seule main, ce sera des points virgules plutôt que des points – avec une seule main glissant sur le clavier traçant une géométrie droite gauche beaucoup de diagonales allers retours -je glisse, ne soulève pas le doigt, reste en contact comme avec un corps que l’on masse, on laisse toujours une main chaude - ; où suis-je du livre tenu par ma main ouvert au hasard, comment vais-je oser regarder – garder encore une fois – profonde inspiration, la musique extatique d’Ishan Rmiki remplit mon corps debout – qu’est ce qu’il ne faut pas inventer pour transcender les dépendances, écrire sans fumer ? – la nuit est le premier mot attrapé ; la nuit me donne envie de danser, je commence à piétiner, je sens mes coussinets en contact avec le sol, leur surface moelleuse ; et ce sont les hanches qui se libèrent à leur tour ;;; et tout le haut du corps comme une vague est affecté par ce mouvement qui débute du sol ; la tête en hochant de la droite vers la gauche provoque un frottement agréable de la bouche sur le papier – c’est la nuit que l’on danse, qu’on s’abandonne,
je regarde à nouveau, il y a sur cette page ouverte au hasard du livre une phrase mise entre crochets par mes soins quand je l’ai lu d’une seule traite mercredi matin – c’est vrai, la nuit je vois plus clairement parce que je vois au-delà ; au-delà de l’immédiatement donné aux sens de la vie diurne – page cinquante-sept - retour à la sensation des coussinets sur le sol – de l’importance de danser avec cette conscience car c’est ce qui nous rapproche de la fluidité des gestes et du contact à l’unisson avec l’environnement des bêtes sauvages – nous y sommes, le livre que j’ai entre les mains s’appelle croire aux fauves ; il est découpé en quatre parties selon les quatre saisons et la page cinquante-sept est dans l’hiver ; la page cent une est dans le printemps ; la page vingt-sept est dans l’automne et la page cent cinquante une est dans l’été ; c’est la dernière page du livre dont les derniers mots sont -je commence à écrire- il y a toujours une seule main écrivant lettre après lettre, c’est parfois frustrant mais on apprend à maitriser sa frustration – comme le tabac – surtout on invente autre chose pour transcender les manques béants originels accidentels en faisant des diagonales par exemple en caressant un clavier droite gauche aller retour a l l e r r e t o u r – le livre ouvert à sa dernière page pend à l’extrémité de mon bras gauche, je ne le tiens presque pas, il n’est pas lourd mais quand même son léger poids -je le lâche, il tombe au sol – la main gauche rejoint la main droite, elles sont heureuses de se retrouver sur la voix du chant extatique puis se retirent comme la marée 

Sacha Steurer

Nasstaja Martin, Croire aux fauves, Editions Verticales, 2019 

Nota bene – emportée hier par le feu du tournoiement de l’écriture, je n’ai pas cité d’où me venait cette réflexion sur l’importance des coussinets dans la danse en lien avec la trace souple des bêtes dans la nature ; elle m’a été transmise par la danseuse Sophie Tabakov qui elle-même lui a été transmise par Helena, une danseuse bulgare… et qui elle-même l’a reçue d’une tradition immémoriale… Je cite toujours mes sources car j’ai beaucoup de gratitude pour elles, j’ai tout à fait conscience d’être en permanence inspirée par tout ce qui m’entoure - source étant peut-être le mot que je préfère ; tout en en idolâtrant aucune par conscience de la seule et unique Source n’appartenant à personne – sauvage. 

Autoportrait 

Commentaires

  1. La danse des doigts (ont-ils des coussinets ?) des yeux, du visage caché par un livre, livre qui tombe, comme un mot dans le texte, mains qui se retrouvent à son secours.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Chronique 23, 15 novembre 2020

     Rêve, nuit du 14 au 15 novembre. Je feuilletais le grand livre du  livre de la vie , image ne me quittant plus depuis que je l’ai découverte dans le texte de l’Apocalypse au verset suivant :  « On ouvrit des livres, puis un autre encore : le livre de la vie. » (Apocalypse 20, 1, 16)  Ce texte est un peu plus loin de moi maintenant qu’il y a quelques mois mais c’est une distance seulement géographique, comme avec les êtres que l’on aime, et qui vivent en nous : nulle séparation dans l’invisible mais grande peuplade inter-pénétrante, les rêves nous le révèlent bien : ce sont les formes et les couleurs qui changent, les formes et les couleurs, seulement. Et qu’est-ce que c’est que cette peur de  vivre dans les livres  ? Ne sommes-nous pas constamment en train de  vivre des histoires  ? De nous en raconter ? Et par là même, de trouver le sens de notre vie ou son absurdité ? Par cette faculté fabulatric...

Billet d'été -2- de lectures dansées, 14 juillet 2020

J’aime lire les dernières phrases d’un roman pour savoir. Pas pour savoir la fin, pour la VOIR. C’est pictural, c’est  une aventure de lignes  pour laquelle je veux embarquer. Quelque chose d’immédiat tout sauf linéaire  « à gauche, aussi, à droite, en profondeur, à volonté. Pas de trajets, mille trajets… »  ce que Michaux est allé chercher dans la peinture car il trouvait les livres ennuyeux avec leur route à sens unique, tracée à l’avance pour le lecteur. J’aime lire les dernières phrases d’un roman avant de prendre mon billet, c’est ce que je disais à Fabrice au fond de la librairie mal éclairée en ayant peine à discerner les derniers mots du  Palais de glace  de Tarjei Vessas que j’hésitais encore, plus pour longtemps, à emporter. Aux derniers mots on VOIT très bien si tout est construit sur une histoire dont la fin est une vraie fin ou si le livre se fait le relai du silence, de l’amour, d’un  voyage infini  où les formes, les coul...

Chronique 25, 27 mai 2022

Le vent souffle où il veut ; tu entends sa voix mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va.  Ev. de Jean   Je proposais une pratique antique : celle du livre-oracle. On se penche les yeux fermés sur la somme de livres posée au sol, on avance sa main comme un bâton de sourcier au-dessus des livres et on en saisit un. Ce qu’on saisira n’en finira pas de nous échapper, c’est pour cela qu’on est rassemblés ici ensemble. On se recueille autour de ce qui nous échappe. « La chasse aux papillons », nom du parfum que j’ai essayé récemment - dont je préfère la description à l’odeur-  « Des brassées de fleurs blanches inondées de soleil, un jour d’été. »  aurait pu être l’invitation lancée pour l’atelier : La chasse aux papillons-poèmes.  27 mai 2022, 9 heures 30, troisième Printemps. Le livre qui me saisit yeux fermés, j’avais failli l’acheter deux jours plus tôt chez Fabrice  Au plaisir du texte . Ce recueil de la collection bla...