Yeux sortant au-dessus du livre, une seule main tape -une lettre après l’autre – la peau du visage en contact avec le papier, le nez dans le cœur des pages – main gauche tenant ; avec une seule main, ce sera des points virgules plutôt que des points – avec une seule main glissant sur le clavier traçant une géométrie droite gauche beaucoup de diagonales allers retours -je glisse, ne soulève pas le doigt, reste en contact comme avec un corps que l’on masse, on laisse toujours une main chaude - ; où suis-je du livre tenu par ma main ouvert au hasard, comment vais-je oser regarder – garder encore une fois – profonde inspiration, la musique extatique d’Ishan Rmiki remplit mon corps debout – qu’est ce qu’il ne faut pas inventer pour transcender les dépendances, écrire sans fumer ? – la nuit est le premier mot attrapé ; la nuit me donne envie de danser, je commence à piétiner, je sens mes coussinets en contact avec le sol, leur surface moelleuse ; et ce sont les hanches qui se libèrent à leur tour ;;; et tout le haut du corps comme une vague est affecté par ce mouvement qui débute du sol ; la tête en hochant de la droite vers la gauche provoque un frottement agréable de la bouche sur le papier – c’est la nuit que l’on danse, qu’on s’abandonne,
je regarde à nouveau, il y a sur cette page ouverte au hasard du livre une phrase mise entre crochets par mes soins quand je l’ai lu d’une seule traite mercredi matin – c’est vrai, la nuit je vois plus clairement parce que je vois au-delà ; au-delà de l’immédiatement donné aux sens de la vie diurne – page cinquante-sept - retour à la sensation des coussinets sur le sol – de l’importance de danser avec cette conscience car c’est ce qui nous rapproche de la fluidité des gestes et du contact à l’unisson avec l’environnement des bêtes sauvages – nous y sommes, le livre que j’ai entre les mains s’appelle croire aux fauves ; il est découpé en quatre parties selon les quatre saisons et la page cinquante-sept est dans l’hiver ; la page cent une est dans le printemps ; la page vingt-sept est dans l’automne et la page cent cinquante une est dans l’été ; c’est la dernière page du livre dont les derniers mots sont -je commence à écrire- il y a toujours une seule main écrivant lettre après lettre, c’est parfois frustrant mais on apprend à maitriser sa frustration – comme le tabac – surtout on invente autre chose pour transcender les manques béants originels accidentels en faisant des diagonales par exemple en caressant un clavier droite gauche aller retour a l l e r r e t o u r – le livre ouvert à sa dernière page pend à l’extrémité de mon bras gauche, je ne le tiens presque pas, il n’est pas lourd mais quand même son léger poids -je le lâche, il tombe au sol – la main gauche rejoint la main droite, elles sont heureuses de se retrouver sur la voix du chant extatique puis se retirent comme la marée
Sacha Steurer
Nasstaja Martin, Croire aux fauves, Editions Verticales, 2019
Nota bene – emportée hier par le feu du tournoiement de l’écriture, je n’ai pas cité d’où me venait cette réflexion sur l’importance des coussinets dans la danse en lien avec la trace souple des bêtes dans la nature ; elle m’a été transmise par la danseuse Sophie Tabakov qui elle-même lui a été transmise par Helena, une danseuse bulgare… et qui elle-même l’a reçue d’une tradition immémoriale… Je cite toujours mes sources car j’ai beaucoup de gratitude pour elles, j’ai tout à fait conscience d’être en permanence inspirée par tout ce qui m’entoure - source étant peut-être le mot que je préfère ; tout en en idolâtrant aucune par conscience de la seule et unique Source n’appartenant à personne – sauvage.
Nota bene – emportée hier par le feu du tournoiement de l’écriture, je n’ai pas cité d’où me venait cette réflexion sur l’importance des coussinets dans la danse en lien avec la trace souple des bêtes dans la nature ; elle m’a été transmise par la danseuse Sophie Tabakov qui elle-même lui a été transmise par Helena, une danseuse bulgare… et qui elle-même l’a reçue d’une tradition immémoriale… Je cite toujours mes sources car j’ai beaucoup de gratitude pour elles, j’ai tout à fait conscience d’être en permanence inspirée par tout ce qui m’entoure - source étant peut-être le mot que je préfère ; tout en en idolâtrant aucune par conscience de la seule et unique Source n’appartenant à personne – sauvage.
![]() |
Autoportrait |
La danse des doigts (ont-ils des coussinets ?) des yeux, du visage caché par un livre, livre qui tombe, comme un mot dans le texte, mains qui se retrouvent à son secours.
RépondreSupprimer